Dans une acception globale de l'éducation


Il ne s'agit donc pas seulement d'interroger les effets sur les élèves de l'apprentissage des savoirs sur la nature, mais bien de nous intéresser à la relation globale entre nature et enfants dans toutes les dimensions cognitive bien sûr, mais aussi affective et comportementale, et dans la réciprocité des interactions. C'est pourquoi nous pouvons également nous reconnaître dans l'avenue américaine des recherches inscrites sous l'angle du care, ce prendre soin issu des courants féministes (Bachelart, 2009-a). Plusieurs chercheurs ont étudié le développement du soin de la nature chez les enfants et les adolescents mettant en lumière certains éléments déterminants d'un comportement de soin, notamment celui d'être le reflet d'une histoire personnelle marquée par l'attachement affectif à un lieu de nature (Clayton 2003 ; Thomashow 1995 ; Chawla 2007). L'identité même de l'enfant s'en trouve modelé formant une identité environnementale que Clayton observe au travers le « sentiment de connexion avec une partie de l'environnement naturel non humain qui influence notre perception du monde et nos façons d'agir envers lui ; c'est la conviction que l'environnement est important pour nous et contribue de façon importante à notre identité ». Ces résultats autour de l'attachement affectif et de la relation formatrice qui s'instaure nous renvoie bien sûr aux travaux de Searles (1986) et à son concept d'« apparentement » (Cottereau 2016). Ils nous renvoient également au travaux sur l'écoformation. Celle-ci désigne la « formation humaine dans sa relation vitale et permanente avec l'environnement naturel » (Galvani et Pineau 2015, p.15). il s'agirait d'apprendre assez de la relation à l'environnement « pour établir des liens de parenté, des traits d'union qui aideront à nouer des relations de partenariat bénéfiques pour les deux » (Pineau et coll. 1992, p.23). Ce concept est né dans les années 1980 sous la plume de Gaston Pineau, professeur chercheur en sciences de l'éducation et de la formation, dans une triple filiation : les histoires de vie en formation, la théorie des trois maîtres de Jean-Jacques Rousseau (1966), les courants scientifiques systémiques. Cottereau y a particulièrement développé ses axes de recherche sur les enfants, révélant la façon dont ils construisent leurs identités écologiques dans des moments pédagogiques de jeu libre, vécu en alternance avec une pédagogie de l'imaginaire et des approches scientifiques (Cottereau 1994, 2001). Une « relation éco-logique » s'y développe permettant de nouer des liens d'habitants à habitats (Pineau et coll 2005).

Si un des enjeux de l'éducation à l'environnement est d'apprendre à habiter le Monde sans le rendre inhabitable pour les autres et soi-même au milieu des autres, cela soulève l'intérêt de s'interroger sur la place du corps dans cette éducation. Dire habiter un espace c'est reconnaître l'avoir arpenté en long, en large et en travers, en reconnaître les odeurs, les sons, les matières, en décrypter les signes, les codes, les manières d'y être. C'est en partager les « arts de faire » et leurs ruses, braconnages et autres improvisations (de Certeau, 1990). Reconnaître avec Anne Sauvageot que « sentir, se mouvoir et s'émouvoir sont au cœur de l'action » (2003, p.1), c'est aussi reconnaître que sentir, se mouvoir et s'émouvoir sont au cœur de l'habiter. Le monde se donne d'abord sous la forme du sensible. Notre condition est corporelle. « Il n'est rien dans l'esprit qui n'ait d'abord séjourné dans les sens » nous dit l'anthropologue David Le Breton (2006, p. 25). Les sens sont alors nos outils à fabriquer du sens. Entre les sens et le sens, l'esprit fait un travail de configuration. Les perceptions, les gestes, et les mouvements s'intériorisent dans la psyché sous forme de schèmes qui vont eux-mêmes organiser les représentations mentales, comme l'avait déjà expliqué Jean Piaget (1976). Lorsque l'on reconnaît une partie du monde, on peut le faire car d'abord on l'a vécu sensiblement et qu'ensuite ces informations sensorielles se sont organisées dans le champ des représentations mentales en une sphère signifiante d'images. Le jeu des interactions permanentes entre soi et le monde permet d'élaborer, toujours plus densément, mais aussi relativement une pensée et des gestes sur le monde. Le corps, lieu d'accueil et d'échanges avec le réel, produit un monde d'images, lui même organisateur du monde intelligible (Wunenburger, 1997).