Argumentaire

Qu'est-ce qu'un état de l'art?

Si on tape sur wikipédia ;), voilà ce que ça nous donne:

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"L'état de l'art est l'état des connaissances dans tout domaine donné [...] à un instant donné" "Cette démarche est préliminaire à tout travail de recherche ou d'application ; elle permet de capitaliser le savoir et des savoir-faire existants, et dans le monde de la recherche de ne pas refaire des expériences qui auraient déjà été faites et dont les conclusions ont déjà été validées par des pairs."

Il s'agit de rechercher les informations existantes sur un thème particulier (travail bibliographique), d'en faire une lecture ciblée et critique (analyse) et de faire une synthèse.

Dans les pages de cette section, vous retrouverez cet état de l'art pour notre projet de Recherche-Action Participative "Grandir avec la Nature"


Une recherche au sein des éducations à

Dans le champ de l'éducation relative à l'environnement, une grande partie des recherches françaises portent sur la didactique du développement durable et de ses thématiques environnementales, l'alimentation (Orange Ravachol, Kovacs, Orange, 2018), la santé, la biodiversité (Franc, Reynaud et Hasni 2013), la science (Girault et Sauvé 2008), les questions socialement vives (Legardez et Simonneaux 2006 ; Alpe et Barthes 2013). Elles s'inscrivent plus globalement dans la réflexion sur ce que l'on peut appeler aujourd'hui les « éducations à » (Barthes, Lange, Tutiaux-Guillon, 2017) : elles portent des enjeux sociétaux à dimensions politique, économique et idéologique, revisitant alors des concepts comme la citoyenneté (et/ou l'écocitoyenneté), l'engagement, les valeurs.

Elles questionnent aussi leur pluridimensionnalité et leur inscription dans des systèmes de vie qui s'étendent « au-delà de l'humain » (Kohn 2017) : « l'éducation à la biodiversité pourrait se définir de façon pluridimensionnelle en prenant en compte une dimension cognitive (les savoirs scientifiques amenés dans la classe), associés à une dimension affective (la mise en jeu de la relation émotionnelle avec le vivant), en lien avec une dimension comportementale (les comportements élaborés dans le respect du vivant et de sa diversité). Les savoirs se réfèrent aux connaissances à la fois biologiques et écologiques ainsi qu'aux interrelations qui existent entre la biodiversité et les êtres humains. » (Franc, Reynaud et Hasni, op.cit., 18).

Au Canada, les axes de recherche sont aussi étendus, du fait qu'elles partent bien souvent d'une définition de base énoncée par Lucie Sauvé : « l'éducation relative à l'environnement concerne plus spécifiquement l'une des trois sphères d'interactions à la base du développement personnel et social : en étroite relation avec le rapport à soi-même (sphère de la construction de l'identité) et aux autres (sphère de la relation d'altérité humaine), il s'agit du rapport à l'oïkos, cet espace de vie qui associe l'humain à l'autre qu'humain » (Sauvé 2009, p.2).


Dans une acception globale de l'éducation

Il ne s'agit donc pas seulement d'interroger les effets sur les élèves de l'apprentissage des savoirs sur la nature, mais bien de nous intéresser à la relation globale entre nature et enfants dans toutes les dimensions cognitive bien sûr, mais aussi affective et comportementale, et dans la réciprocité des interactions. C'est pourquoi nous pouvons également nous reconnaître dans l'avenue américaine des recherches inscrites sous l'angle du care, ce prendre soin issu des courants féministes (Bachelart, 2009-a). Plusieurs chercheurs ont étudié le développement du soin de la nature chez les enfants et les adolescents mettant en lumière certains éléments déterminants d'un comportement de soin, notamment celui d'être le reflet d'une histoire personnelle marquée par l'attachement affectif à un lieu de nature (Clayton 2003 ; Thomashow 1995 ; Chawla 2007).

L'identité même de l'enfant s'en trouve modelé formant une identité environnementale que Clayton observe au travers le « sentiment de connexion avec une partie de l'environnement naturel non humain qui influence notre perception du monde et nos façons d'agir envers lui ; c'est la conviction que l'environnement est important pour nous et contribue de façon importante à notre identité ». Ces résultats autour de l'attachement affectif et de la relation formatrice qui s'instaure nous renvoie bien sûr aux travaux de Searles (1986) et à son concept d'« apparentement » (Cottereau 2016). Ils nous renvoient également au travaux sur l'écoformation. Celle-ci désigne la « formation humaine dans sa relation vitale et permanente avec l'environnement naturel » (Galvani et Pineau 2015, p.15). il s'agirait d'apprendre assez de la relation à l'environnement « pour établir des liens de parenté, des traits d'union qui aideront à nouer des relations de partenariat bénéfiques pour les deux » (Pineau et coll. 1992, p.23). Ce concept est né dans les années 1980 sous la plume de Gaston Pineau, professeur chercheur en sciences de l'éducation et de la formation, dans une triple filiation : les histoires de vie en formation, la théorie des trois maîtres de Jean-Jacques Rousseau (1966), les courants scientifiques systémiques. Cottereau y a particulièrement développé ses axes de recherche sur les enfants, révélant la façon dont ils construisent leurs identités écologiques dans des moments pédagogiques de jeu libre, vécu en alternance avec une pédagogie de l'imaginaire et des approches scientifiques (Cottereau 1994, 2001). Une « relation éco-logique » s'y développe permettant de nouer des liens d'habitants à habitats (Pineau et coll 2005).

Si un des enjeux de l'éducation à l'environnement est d'apprendre à habiter le Monde sans le rendre inhabitable pour les autres et soi-même au milieu des autres, cela soulève l'intérêt de s'interroger sur la place du corps dans cette éducation. Dire habiter un espace c'est reconnaître l'avoir arpenté en long, en large et en travers, en reconnaître les odeurs, les sons, les matières, en décrypter les signes, les codes, les manières d'y être. C'est en partager les « arts de faire » et leurs ruses, braconnages et autres improvisations (de Certeau, 1990). Reconnaître avec Anne Sauvageot que « sentir, se mouvoir et s'émouvoir sont au coeur de l'action » (2003, p.1), c'est aussi reconnaître que sentir, se mouvoir et s'émouvoir sont au cœur de l'habiter. Le monde se donne d'abord sous la forme du sensible. Notre condition est corporelle. « Il n'est rien dans l'esprit qui n'ait d'abord séjourné dans les sens » nous dit l'anthropologue David Le Breton (2006, p. 25). Les sens sont alors nos outils à fabriquer du sens. Entre les sens et le sens, l'esprit fait un travail de configuration. Les perceptions, les gestes, et les mouvements s'intériorisent dans la psyché sous forme de schèmes qui vont eux-mêmes organiser les représentations mentales, comme l'avait déjà expliqué Jean Piaget (1976). Lorsque l'on reconnaît une partie du monde, on peut le faire car d'abord on l'a vécu sensiblement et qu'ensuite ces informations sensorielles se sont organisées dans le champ des représentations mentales en une sphère signifiante d'images. Le jeu des interactions permanentes entre soi et le monde permet d'élaborer, toujours plus densément, mais aussi relativement une pensée et des gestes sur le monde. Le corps, lieu d'accueil et d'échanges avec le réel, produit un monde d'images, lui même organisateur du monde intelligible (Wunenburger, 1997).

Instruite par les recherches en psychologie

La psychologie de la conservation (Fleury et Prévot 2017) et la psychologie de l'environnement nous offrent également des socles de réflexion. La théorie de la biophilie (Wilson 1984) pose l'hypothèse que les êtres humains possèdent une affinité innée pour la vie, qui les motive à chercher le contact avec les animaux, les végétaux et les milieux naturels. A l'inverse les concepts d'« extinction de l'expérience de nature » (Pyle 1978), d'« amnésie environnementale générationnelle » (Kahn 2002) ou de « syndrome de manque de nature » (Louv 2005) mettent l'accent sur le cercle vicieux dans lequel nos sociétés modernes s'enfoncent : en éloignant la nature de nos espaces de vie, nous réduisons notre expérience de nature, entraînant un désintérêt envers celle-ci et une séparation encore plus prononcée. Non seulement un désintérêt envers la nature s'y accroît mais possède de nombreuses conséquences en termes de santé, notamment sur les enfants des pays industrialisés. Selon le docteur Melissa Lem, médecin de famille à Toronto : "cette carence est propice au développement de certains problèmes comportementaux tels qu'un déficit d'attention et une hyperactivité. Des chercheurs ont également constaté que les enfants qui passent plus de temps à l'intérieur plutôt qu'à côtoyer la nature à l'extérieur, développent différents troubles physiques: obésité, cholestérol, diabète, asthme, myopie,dépression ou encore retard dans le développement de leurs facultés motrices et de leurs aptitudes sociales". Il se pourrait que cette génération privée de nature vive moins longtemps que la génération née avant la seconde guerre mondiale.

Pour réduire le manque d'expérience de nature

L'éducation nationale en France s'inscrit dans ce même mouvement de réduction des sorties dehors. Les classes de découverte sont nées en 1953 avec la première classe de neige qui avait pour but de remettre en forme des enfants des villes. Elles duraient 4 ou 3 semaines et leurs bénéfices furent largement valorisés (Mariet, Moreau et Porcher 1977 ; Giolitto 1978 ; Best 1984 ; Doucet 1974 ; Cottereau 1994, 2001).
Aujourd'hui un séjour avec quatre nuitées est un long séjour.

Avant cela Freinet avait inventé les sorties dans la nature pour aller y faire des observations. « La leçon de choses » faisait partie des programmes scolaires, elles constituaient « le paradigme de l'enseignement des sciences depuis que cet enseignement a été rendu obligatoire par Jules Ferry » en 1882 (Kahn, 2000, p. 9). Elles devaient permettre de mettre en œuvre « des exercices d'observation sur les 'choses' familières aux enfants : produits naturels, produits fabriqués, animaux, végétaux, phénomènes courants, outils, métiers ». Elles plaçaient les enfants devant les faits « afin qu'ils s'habituent à les observer attentivement et à les décrire de façon précise, c'est-à-dire à faire, dans la mesure de leurs moyens, la première opération de la science du monde extérieur, la seule qui leur soit accessible : l'observation." (Ibid., p. 14).

Dominique Bachelart l'avait remarqué « la situation est paradoxale pour le secteur de « l'éducation à l'environnement » : c'est dans la sphère informelle que s'acquiert la plupart des apprentissages jugés significatifs » reconnaissent les éducateurs à l'environnement en explicitant leurs propres histoires de vie et en explorant ainsi les leviers à leur engagement environnemental (2009-b). Alors qu'en éducation formelle on assiste à une véritable rupture dans l'éducation des enfants.

Michel Serres le résume avec acuité, « ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée » (2011), ils habitent la ville et le virtuel, leur cerveau se développe différemment du nôtre, ils parlent et écrivent un autre langage, ils pratiqueront d'autres métiers. Quel parcours proposer à ces « petites poucettes et petits poucets » comme il les appelle en les observant taper sur les touches de leurs téléphones mobiles à l'aide de leurs pouces ? Quel juste milieu trouver entre ce dont nous sommes faits, nous adultes d'une autre génération, et ce dont ils sont faits, eux, nés avec les écrans, les espaces virtuels, le téléphone en prolongement de la main. Sans doute nous faut-il être créatif pour faire le pendant à cette évolution sociétale qui nous échappe et que nous voulons quand même orienter dans un projet du vivre ensemble sur terre et pour longtemps. Cette recherche action qui associe chercheurs et éducateurs de façon très serrée voudraient participer à ce mouvement.


Nécessairement en recherche action participative

Nous pensons également qu'en travaillant en format recherche action participative nous serons mieux à même de saisir, collectivement, ce qui se joue dans ces interactions enfants â?? nature et d'en retirer des enseignements éducatifs. Nous nous situons ainsi dans la lignée de l'hypothèse du « tiers secteur scientifique » (Latour, 2004) qui émerge à la fois dans des laboratoires de recherche, dans des communautés citoyennes ou des programmes politiques de financement de recherches collaboratives. Les programmes PICRI en Ile de France (Partenariats Institutions Citoyens pour la Recherche et l'Innovation), ASOSc en Bretagne (Appropriation Sociale des Sciences), tous deux inspirés des ARUC québécoises (Alliances pour la Recherche Universités et Communautés) témoignent de ce mouvement social en train d'inventer de nouvelles formes de recherches où les positions respectives des scientifiques et des acteurs ne sont plus si tranchées que dans les recherches centrées sur le chercheur et ses objets (Goffin, 1998-1999).

Il y a là l'hypothèse que l'acteur apporte tout autant que le chercheur dans une recherche soulevée par une question de société. L'acteur connaît son terrain, le nomme de ses propres savoirs (qu'on les appelle savoirs profanes, vernaculaires, quotidiens, ordinaires, autochtones, expérientielsâ?¦). Immergé dans sa pratique sociale, il porte un non-dit et un insu des gestes plus riches que ce que le chercheur peut en présumer. Le chercheur, de son côté, apporte ses savoirs scientifiques, sa méthodologie, sa mise en perspective, la possibilité de la reconnaissance des résultats par ses pairs. Nous entrons ainsi dans ce qu'a si bien nommé pour nous Nadine Souchard : une recherche de « plein air » (2013). Elle la définit de la manière suivante : « partant d'un phénomène social qu'ils construiraient en problème social, ils tenteraient de proposer des réponses en conduisant des expérimentations sociales. Pour conduire ce travail collectif, ils n'inscriraient pas leur démarche en référence à des disciplines et à des normes académiques, mais solliciteraient pour des appuis méthodologiques et théoriques des chercheurs professionnels qui saisiraient l'opportunité de conduire une recherche de « plein air » qui leur permettrait non seulement de répondre à une demande sociétale, mais aussi de recueillir des données de qualité sur des questions sociales émergentes et d'engager des formes d'intervention sociologique originales. » (op.cit., p.3). »

De par les visées mêmes de l'éducation à l'environnement, souvent ancrées dans un discours socialement critique, la recherche semblerait donc trouver sa niche dans des démarches partenariales, compréhensives, constructivistes et interactionnistes. Sans doute devrons-nous en passer par ce que Christine Audoux et Anne Gillet nomment « l'épreuve de la traduction », « la traduction vue comme une série d'interactions permettant la mise en réseau d'acteurs, de connaissances, de productions, etc. (Callon, 1986, 2001 ; Latour, 1988, 1989), comme une interprétation de langage débouchant sur un sens partagé (Ricoeur, 2004) » (2011, p.3-4). Cette épreuve de la traduction se décompose elle-même en autant d'épreuves intermédiaires qui trament la progression du partenariat dans la recherche action :

« Nous posons le partenariat de recherche comme un processus de traduction, d'interactions et d'apprentissage, dans lequel les partenaires de recherche,
- établissent un énoncé problématique qui définit et relie leurs identités ;
- mettent en oeuvre une série d'actions qui traduisent leurs intérêts propres et communs dans une mise en dispositif ;
- définissent des rôles, en lien avec leurs identités et avec leurs intérêts, au sein d'une organisation singulière ;
- mobilisent des acteurs tiers dont les capacités de représentation permettent la justification du partenariat et de l'engagement des partenaires ;
- confrontent leur référentiel de savoirs pour en élaborer un autre, propre à leur système d'association.

Au cours de ce processus, le dispositif partenarial se construit au travers de plusieurs épreuves : celles de la traduction des identités, de la reconnaissance des intérêts, de la légitimité, de la capacité à mobiliser d'autres acteurs et du référentiel épistémique de chacun. L'issue de ces épreuves, vécues individuellement et socialement, trouve son développement dans le degré de co-construction des savoirs. » (Ibid., p.11)

Nous savons depuis longtemps que toute construction de système nouveau passe par des ruptures, des bouleversements, qui ne peuvent atteindre une forme que si les interactions accèdent à quelques stabilisations (Morin, 1977). Aussi serons-nos vigilants dans cette co-construction à nous interroger régulièrement sur nos avancées et nos façons de travailler ensemble. Nous serons tous des praticiens réflexifs (Schön 1994) mettant l'auto-évaluation au cœur de notre processus.